Les femmes qui souhaitent intégrer le secteur du bâtiment font-elles face à un mur infranchissable ? Sandrine Mansoutre est la preuve que non. Depuis 25 ans, cette ingénieure et docteure en sciences des matériaux travaille dans une industrie traditionnellement réservée aux hommes. Directrice de l’École Française du béton, une fondation d’entreprise qui soutient les initiatives favorisant la connaissance de cette ressource, elle s’est découvert une véritable affinité pour ce matériau costaud et d’apparence rustique. Elle l’a étudié dans les quatre coins du globe. De ses voyages, elle retient que la place des femmes dans cet univers professionnel est une construction sociale. Entretien à chaux.
Ce n’est pas moi qui ai choisi le béton, c’est lui qui s’est présenté à moi ! Une fois découvert, c’est devenu une véritable passion. Je trouve d’ailleurs dommage que, trop souvent, on arrive par hasard ou par défaut dans le secteur des sciences des matériaux, qui est bien plus captivant que ce que l’on s’imagine.
Plus jeune, sous l’influence des stéréotypes, je voulais créer des cosmétiques et des parfums. J’ai donc suivi des études d’ingénierie en chimie des matériaux. Un peu par hasard, j’ai effectué mon stage de fin d’études chez Bouygues Construction. C’est là que j’ai travaillé sur un béton très particulier : le béton fibré à ultra hautes performances (BFUP), qui a par exemple servi à la construction du Musée national des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM), à Marseille.
Un matériau très intriguant qui m’a donné envie d’en savoir plus. J’ai donc poursuivi une thèse de doctorat en physique des matériaux chez un cimentier, pour qui je travaillais dans les adjuvants modificateurs de propriété du béton.
Être une femme au milieu d’équipes d’ingénieurs dans un tel secteur, ce n’est pas une position courante. Avoir un bagage technique et scientifique m’a permis de m’affirmer et d’asseoir mes compétences. Au début, il faut montrer ses capacités… Peut-être même plus que si l’on est un homme.
En fait, il faut vraiment se faire confiance. Quand j’ai commencé sur des postes à responsabilité, je me comportais comme un homme. Grosse erreur. La posture de manager est différente lorsqu’on est une femme de manière générale. Nous sommes plus dans l’écoute et dans l’empathie. Et cette approche apporte beaucoup aux équipes.
J’ai vécu et travaillé de nombreuses années à l’étranger, dans près de vingt pays aux quatre coins du monde : Maroc, Italie, côte ouest des États-Unis, Kazakhstan, Inde, Turquie, Sénégal… J’aime bien citer les pays de l’ancienne Union Soviétique où les femmes et les hommes sont vraiment considérés comme égaux. En Bulgarie ou au Kazakhstan, il y a énormément de femmes dans les cimenteries, qui fonctionnent pourtant toutes de la même façon dans le monde.
On peut se demander pourquoi, dans certains pays, les femmes arrivent très bien à travailler dans des usines et dans d’autres non. Nous avons des exemples concrets où cela se passe très bien, cela nous montre qu’il n’y a techniquement aucun frein. C’est donc une question de culture, qui s’explique par beaucoup des fausses croyances, générées par une éducation régie par d’anciens codes. Et nous-mêmes, en tant que femmes, nous portons ces croyances.
Déjà, je constate une féminisation dans l’enseignement supérieur. Quand je fais des conférences, je mets toujours un point d’honneur à regarder combien de femmes se trouvent dans la salle.
Le béton est par ailleurs un matériau qui peut être très “féminin”, et les femmes ont beaucoup à apporter à ce secteur. C’est le message que j’essaye de délivrer dans mes différentes interventions. Avec l’École Française du Béton, nous avons aussi lancé une mission de sensibilisation concernant la place des femmes dans le bâtiment, autour de la collection de contenus #Construireauféminin.
Cette question intervient dans de nombreux sujets importants, comme celui de l’environnement. L’industrie du béton a démarré sa transition écologique, il y a beaucoup à faire et de la place pour les hommes comme pour les femmes.
Il y a actuellement dans le bâtiment un grand besoin de retourner vers l’humain. L’écoute, l’empathie, des qualités perçues comme féminines, sont des atouts considérables pour relever les défis d’aujourd’hui. C’est par ce féminin-là qu’on enrichit et qu’on fait grandir les équipes. Les femmes sont d’ailleurs très appréciées sur le terrain, c’est aussi pour cela que j’encourage les plus jeunes à venir dans nos métiers. Il faut reprendre confiance dans ce qu’apporte le féminin au travail.
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